France : le débat sur « l’islamo-gauchisme » refait surface

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Élisabeth Borne a recadré dimanche son collègue de l’Enseignement supérieur Philippe Baptiste pour avoir estimé que l’« islamo-gauchisme » est une notion qui « n’existe pas ». Cette réponse de la ministre de l’Éducation nationale témoigne d’une division au sein du gouvernement et de l’élite française sur ce concept né dans l’esprit de Pierre-André Taguieff en 2002, au moment de l’intifada.

Le gouvernement Bayrou montre à nouveau sa profonde division sur des questions sociales et sociétales. Le dimanche 13 juillet, la ministre de l’Éducation nationale Élisabeth Borne a recadré son collègue chargé de l’Enseignement supérieur Philippe Baptiste pour avoir estimé que l’ »islamo-gauchisme » est une notion qui « n’existe pas ». Selon l’ex Première ministre, « ce courant existe dans la société, donc nécessairement à l’université ».

« Ce terme n’existe pas en tant que terme universitaire »

Lundi 7 juillet sur LCP,  Philippe Baptiste avait déclaré que « ce terme n’existe pas en tant que terme universitaire » et qu’« il n’est même pas bien défini ». Il reconnaît qu’il y a « des abus », mais « se dire qu’il y a un mouvement islamo-gauchiste qui serait là à vouloir prendre le pouvoir au sein de telle ou telle université », ce n’est pas vrai. Rappelant la tradition française « des universités très politisées », le ministre croit qu’il ne faut pas en faire toute une histoire. « Il n’y a ni entrisme des Frères musulmans, ni islamo-gauchisme à l’université », a-t-il insisté.

L’islamo-gauchisme porté par l’extrême gauche ?

Philippe Baptiste est donc persuadé que « l’islamo-gauchisme » n’existe pas de « manière structurée et visible » dans les universités. Il note qu’« on peut évidemment avoir des cas et évidemment, il faut être extrêmement ferme là-dessus » et « vérifier que ce qui s’y passe est conforme à la loi ». Elisabeth Borne, elle, a une autre lecture de la situation. Sur radio J, la ministre de l’Éducation nationale s’en est pris aux « gens d’extrême gauche qui considèrent que les musulmans sont une force électorale, qui les courtisent en encourageant le communautarisme et en banalisant l’islamisme radical ».

Mme Borne accuse en particulier LFI

L’ancienne locataire de Matignon cible en particulier les dirigeants de « LFI, qui portent une idéologie d’extrême gauche qui instrumentalise l’islam, qui banalise l’islamisme radical, et qui encourage le communautarisme ». Selon elle, cette politique « fait partie des combats que mène LFI, notamment pour faire entrer ces idéologies au sein de l’université et ils s’en cachent pas » puisqu’’ »ils font le tour pour certains d’entre eux de toutes les universités de France ».

Nier l’islamo-gauchisme, c’est nier que la Terre est ronde selon Jean-Michel Blanquer

Outre la riposte de Mme Borne, les déclarations de Philippe Baptiste ont suscité plusieurs réactions à droite. Notamment de la part du secrétaire général de LR Othman Nasrou, qui pense que « nier la présence de l’islamo-gauchisme dans les universités, c’est jouer le jeu de l’entrisme à un moment où nous devons être intraitables face à ce fléau ».

Le prédécesseur de Borne à l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, considère lui que « dire que l’islamo-gauchisme n’existe pas, c’est un peu comme dire que la Terre n’est pas ronde ». Quant au prédécesseur de Philippe Baptiste à l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, lui avait voulu demander en 2021 une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université, suscitant une polémique.

Sciences Po au cœur des débats 

Ce débat autour de l’islamo-gauchisme est particulièrement centré sur Sciences Po, qui demeure à l’image de la société contemporaine avec les prises de position contrastées de ses étudiants. De nombreux politiques s’en sont pris à cette institution comme Gérard Larcher, qui la considère comme « le bunker de l’islamo-gauchisme » et Prisca Thevenot, qui voit une école aux prises avec le « séparatisme ». L’ancien premier ministre Gabriel Attal, lui, parle d’une pourriture.

L’« islamo-gauchisme » comme le « judéo-bolchevisme »

Mais qu’est-ce que l’« islamo-gauchisme » au juste ? Pour faire simple, c’est un néologisme créé par Pierre-André Taguieff en 2002, dans le contexte spécifique de la seconde intifada. Ce mot aux contours flous désigne grosso modo une proximité supposée entre des idéologies, personnalités ou partis de gauche et les milieux musulmans, voire islamistes. En France, il est popularisé notamment par l’extrême droite et prend un sens péjoratif comme « judéo-bolchevisme ». Aujourd’hui, diverses personnalités médiatiques, intellectuelles, universitaires ou politiques ont récupéré ce terme pour dénoncer la proximité et le laxisme supposés de certaines figures françaises de gauche envers l’islam ou l’islamisme.

Un danger pour la culture occidentale et la laïcité

Selon ces personnalités, de droite en grande majorité, l’islamo-gauchisme est un danger pour la culture occidentale, la laïcité, le féminisme et l’universalisme. Elles dénoncent le fait que ce concept trouve une place croissante dans les courants postcoloniaux et antiracistes, influençant les études universitaires. L’islamo-gauchisme aurait particulièrement élu domicile dans les universités, surtout à Sciences Po, où les étudiants de gauche et du Sud Global manifestent fréquemment.

On se souvient des dernières actions en faveur de Gaza et de la Palestine. Certains y ont vu des actes antisémites et racistes, reprenant la théorie du créateur du concept. « D’une façon croissante, l’antiracisme est mis au service de l’islamisme et de l’islamo-gauchisme, ou instrumentalisé pour la défense de causes ethnicisées », notait déjà Pierre-André Taguieff dans son ouvrage L’Islamisme et nous.

L’« islamo-gauchisme » n’est pas une réalité scientifique » pour le CNRS 

Dans un avis publié en février 2021, le CNRS répond que l’« islamo-gauchisme » n’est pas une réalité scientifique », mais un slogan politique utilisé dans le débat public. L’organisme a dit condamner, en particulier, « les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de ‘race’, ou tout autre champ de la connaissance ». Pour le centre de recherche, « la polémique actuelle autour de l’’islamo-gauchisme’, et l’exploitation politique qui en est faite, est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science ». Voilà qui est dit !