Maghreb : les Etats en guerre contre les contrebandiers et les majors du tabac

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Si le Maroc, grâce à une politique volontariste, s’en sort mieux que ses voisins, il pourrait être la cible prochaine d’une industrie du tabac qui cherche à imposer son propre système de traçabilité.                                                                                                                      
Une sur cinq : c’est la proportion de cigarettes issues du commerce parallèle qui sont consommées au Maghreb, selon l’étude sur « Le commerce illégal de la cigarette dans la région du Maghreb », publiée par le cabinet d’audit international KPMG. Selon ses auteurs, la contrebande et le commerce illicite de produits du tabac engendreraient un manque à gagner équivalent à 565 millions de dollars américains pour les Etats de la région, un montant correspondant aux taxes non-perçues sur la vente et l’importation de cigarettes.

La contrebande de cigarettes, source de revenus « très lucrative pour les groupes terroristes »

Voisine directe d’une Libye en ruine et aux mains de factions armées faisant régner la loi du plus fort, la Tunisie est particulièrement touchée par le phénomène : en 2016, 24% de la consommation de cigarettes dans le pays provenaient de la contrebande, pour un manque à gagner estimé à 219 millions de dollars. L’étude de KPMG démontre également que le commerce illégal de tabac ne constitue qu’une partie d’un tentaculaire réseau régional de contrebande, qui inclut le carburant, les véhicules, les denrées alimentaires ou encore les appareils électroniques.

Non seulement la contrebande de tabac assèche les finances publiques des Etats maghrébins, mais encore le phénomène est-il source de financement pour les organisations terroristes qui, à la faveur du chaos libyen et de l’insécurité régnant dans le Sahel, nuisent dans la région. C’est l’alarmant constat qui ressort d’une enquête menée par la chaîne de télévision Al-Arabiya, selon laquelle les trois quarts des cigarettes commercialisées en Libye le sont de manière illégale, et 13 milliards de cigarettes consommées dans le Maghreb sont d’origine inconnue.

Un constat corroboré par la chercheuse au Centre Carnegie de Beyrouth, Dalia Ghanem Yazbek, qui estime que la contrebande de cigarettes est devenue au Maghreb une source de revenus « très lucrative pour les groupes terroristes ». Et, quand ces mêmes groupes ne sont pas directement mouillés dans les opérations de contrebande, ils font payer aux contrebandiers des « taxes de passage et de sécurisation des marchandises », estime l’experte. En somme, le trafic de produits du tabac se révèle plus juteux et moins risqué pour ces organisations terroristes que l’enlèvement d’étrangers. Bien connu des services de renseignement occidentaux, le leader terroriste Mokhtar Belmokhtar, qui sévit au Sahel, serait même désormais surnommé « Mister Marlboro ».

Le Maroc renforce la traçabilité des cigarettes et conforte ses recettes fiscales

Bien décidées à juguler le phénomène, les autorités marocaines ont entrepris d’attaquer les finances des djihadistes à la source. Le Maroc a ainsi doté son Administration des douanes et impôts directs (ADII) du Système automatisé de marquage intégré en douane (SAMID), un dispositif commercialisé par l’entreprise SICPA, qui permet aux autorités du Royaume de disposer, en temps réel et à distance, de l’assiette imposable au titre des taxes s’appliquant aux boissons alcoolisées et aux cigarettes. Une technologie de traçabilité de pointe, efficace tant dans la lutte contre le terrorisme que pour remplir les caisses de l’Etat marocain.

Manifestant sa confiance dans ce système de traçabilité, le ministre marocain de l’Economie et des finances, Mohamed Benchaâboun, vient d’ailleurs d’annoncer le 23 octobre que le projet de loi de finances (PLF) 2019 contiendrait une augmentation de la taxe intérieure de consommation (TIC) applicable aux cigarettes. Le taux minimum de perception devrait ainsi passer de 567 à 630 dirhams pour mille cigarettes, alors que le minimum de pression fiscale passerait de 53,6% à 58%. Preuve de l’efficacité du système, en 2017, les recettes de la TIC sur le tabac ont atteint un nouveau record, à 10,48 milliards de dirhams, contre 9,86 milliards en 2016.

Des efforts contrariés par l’industrie du tabac ?

Si les efforts des gouvernements maghrébins sont louables et auraient, selon l’étude de KPMG, permis de diminuer de 24% le nombre de cigarettes consommées illégalement dans la région, ceux-ci sont en permanence menacés par l’industrie du tabac elle-même. De notoriété publique, ce sont en effet les industriels de la cigarette qui alimentent une grande part du trafic et de la contrebande de produits du tabac. Les géants du secteur tentent également d’imposer leur propre système de traçabilité des cigarettes. Baptisé Codentify et commercialisé par la société suisse Inexto, il a déjà été adopté par plusieurs Etats africains, parmi lesquels le Tchad, la Côte d’Ivoire ou le Burkina Faso.

Problème, Codentify est entièrement contrôlé par les cigarettiers eux-mêmes. Il contrevient en cela à l’article 8 du Protocole de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la traçabilité des cigarettes, qui stipule que les Etats l’ayant ratifié doivent adopter un système indépendant de l’industrie du tabac. Industrie qui dispose de moyens colossaux et de VRP de luxe sur le continent, comme le français Bruno Delaye, ancien diplomate et ex-« Monsieur Afrique » de François Mitterrand. Un lobbyiste que l’on aurait aperçu il y a peu… au Maroc, où il se serait entretenu avec l’ADII. Relativement épargné par la contrebande – et pour cause, puisqu’il a recours à un système de traçabilité indépendant –, le Royaume sera-t-il la prochaine cible de l’industrie du tabac ?

La rédaction
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