L’accord de 1968, qui soustrait les Algériens au droit commun en matière d’immigration, ne leur a finalement accordé, à travers ses multiples renégociations, que des bénéfices limités. Une révision de ce texte semble donc justifiée. Cependant, cela nécessiterait que le gouvernement français adopte une approche cohérente et une méthode adaptée à cet objectif.
Plus de six décennies après son indépendance, l’Algérie est-elle traitée par la France comme n’importe quel autre pays ? Cette question se pose dans le contexte d’un litige déclenché par le refus d’Alger de réadmettre certains de ses ressortissants, qu’ils soient délinquants ou en situation irrégulière, expulsés de France. Ce conflit a été tragiquement illustré par l’attaque au couteau mortelle survenue le 22 février à Mulhouse, perpétrée par un Algérien condamné pour « apologie du terrorisme », dont l’expulsion n’a pu être exécutée en raison du manque de coopération d’Alger.
Dans ce contexte dramatique et alors que les tensions diplomatiques entre les deux pays sont vives, le Premier ministre François Bayrou, reprenant une proposition du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, a menacé de dénoncer l’accord bilatéral de 1968 sur l’immigration algérienne en France. Ce texte est souvent critiqué par la droite et l’extrême droite comme un symbole de la prétendue générosité française envers les Algériens. En réalité, il a été négocié à la demande de la France pour limiter l’afflux d’Algériens, à une époque où Paris cherchait à diversifier les origines de sa main-d’œuvre immigrée.
Bien que l’accord de 1968 ait permis aux Algériens de ne pas être soumis au droit commun en matière d’immigration, il ne leur a offert, au fil des renégociations, que des avantages mineurs. Le contexte actuel n’a plus rien à voir avec celui de 1968, et rien ne justifie plus un traitement spécifique pour les Algériens. Une révision de cet accord semble donc légitime. En 2022, le président algérien Abdelmadjid Tebboune aurait même, selon Emmanuel Macron, envisagé de le rouvrir pour le moderniser. Cependant, il est essentiel que l’exécutif français adopte une position claire et une méthode adaptée à cet objectif, ce qui n’est pas le cas actuellement.
La rhétorique agressive de Paris
François Bayrou, en qualifiant les victimes de l’attentat de Mulhouse de « victimes directes du refus d’application » de l’accord de 1968, a démontré une méconnaissance du dossier : ce texte régit les conditions d’entrée et de séjour des Algériens, et non les expulsions. En posant un ultimatum à Alger sous peine de dénonciation de l’accord, le Premier ministre a également compromis la stratégie de « riposte graduée » de Bruno Retailleau. Emmanuel Macron a eu raison de souligner que la dénonciation d’un texte ayant valeur de traité international – une prérogative présidentielle – n’a « aucun sens ». D’autant plus qu’une telle décision pourrait ramener le droit aux accords d’Évian, qui établissent le principe de libre circulation entre les deux pays.
La rhétorique belliqueuse de Paris et la cacophonie qui règne au sein de l’exécutif sur ce dossier sont une aubaine pour le régime autoritaire algérien. De même, les attaques de Bruno Retailleau visant l’« Algérie » plutôt que son régime alimentent le nationalisme et mettent en difficulté les 892 000 Algériens vivant en France ainsi que les millions de Français d’origine algérienne. Si le droit commun en matière d’immigration doit s’appliquer à l’Algérie, celle-ci ne peut être considérée comme un pays ordinaire du point de vue français, en raison de son histoire et des liens humains qui unissent les deux nations.
Le gouvernement, qui prétend vouloir contrôler les flux migratoires et faciliter les expulsions d’Algériens, doit tenir compte de ce contexte et adopter une stratégie cohérente et ordonnée vis-à-vis d’Alger. Sinon, ces questions continueront d’alimenter des débats politiques stériles, sans autre résultat que de renforcer l’extrême droite.