« L’exorcisme est une réalité mais il faut la relativiser »

Société

Focus sur le cas d’Anneliese Michel, une jeune étudiante allemande, alitée suite à une série de manifestations psychotiques et de délires paranoïaques dont elle a été l’objet dans les années 70’. Convaincue qu’elle est harcelée par les forces démoniaques, elle sombre peu à peu dans la folie, victime de symptômes de plus en plus spectaculaires.

La famille de la jeune fille, complétement dépassée par les événements trouve alors une aide de circonstance auprès du Pasteur de sa paroisse, Joseph Alt. Lui-même convaincu d’un cas de possession avérée, il conseille aux parents de la souffrante, la suspension du traitement médicamenteux qui ne porte pas ses fruits, pour user de la voie du Seigneur.

Une série d’exorcismes est donc entreprise. Ces derniers pousseront la jeune fille vers des comportements extrêmes. Minée par une pneumonie, elle finira par mourir d’épuisement. Le Pasteur est alors accusé de négligence ayant entraîné le décès d’Anneliese. On entre alors dans un marasme judiciaire qui défraya la chronique outre-Rhin.

(Ce sujet est d’ailleurs habilement traité et adapté au cinéma par Scott Derrickson sous le titre « L’exorcisme d’Emily Rose »)

Après examen des éléments et témoignages de l’enquête (dont un enregistrement d’un des exorcismes très évocateur), le juge retient une peine symbolique envers l’homme de foi. Le doute était tel dans l’esprit des jurés et du magistrat que l’argument théologique fut retenu.

– L’enregistrement de l’exorcisme versé au procès : https://youtu.be/HP4hKRnDmuo

La question qui découle de cette affaire est de savoir si dans certains cas, la donnée théologique doit être prise en compte dans l’analyse psychologique d’un patient. 

Loïc, diplômé en psychologie, est appelé à devenir prêtre dans quatre ans. Il est actuellement séminariste, pour lui théologie et psychologie sont naturellement complémentaires. Il décide cependant de conserver l’anonymat.

– Quel est la place du démon dans notre société ?

Pour tous les croyants, le démon est une réalité. Il y a deux branches différentes, les anges qui vont amener les hommes à se diviniser et ainsi trouver le salut éternel, et les anges déchus, qui eux, vont contrarier cette route par des manifestations ostentatoires, comme des actes de possession. Le fait de se rapprocher progressivement de Dieu offre à l’homme une plus grande liberté dans son fort intérieur, le démon va donc se manifester sous plusieurs formes : une enveloppe humaine, mais ce cas est très rare, par l’intermédiaire de la magie noire ou par une personne qui a décidé de se livrer corps et âme au Malin. Après il y a aussi plusieurs interprétations de la possession : soit on part du postulat que l’homme est soumis à la tentation, donc tous les hommes sont possédés, soit on ne retient que les cas spécifiques où la manifestation diabolique est avérée.

Quel est le rôle d’un exorciste, comment procède-t-il ?

L’exorciste va chercher à établir un diagnostic comme le fait un psychologue, mais sur des bases théologiques. Les premières questions porteront sur le rapport du sujet à l’occulte ou celui des personnes issues de sa famille. Autre piste de travail, l’analyse des symptômes. Les maux du sujet dépendent-ils uniquement de l’univers du psychisme ou  trouvent-ils une source spirituelle ? L’Église essaie généralement de s’entourer d’une équipe chrétienne fonctionnelle : des psychiatres, des psychologues travaillant main dans la main avec les prêtres. Le but est d’accompagner la personne le plus efficacement possible et surtout de prendre les bonnes décisions. Une fois la guérison ou la libération opérée, il est suggéré à la personne d’entretenir sa foi car, théologiquement, une fois le patient sorti d’affaire, ce sont sept démons qui chercheront à s’engouffrer dans la brèche « car la place est libre » d’où l’intérêt de suivre la voie de Dieu. C’est important d’être croyant mais Dieu est universel. Vous pouvez œuvrer pour le bien sans être obligatoirement pratiquant et trouver grâce auprès de lui. Il s’agit d’une vision au cas par cas. Il est logique que personne n’agisse de façon parfaite d’où la notion du pêcheur originel. Pour ma part, j’ai assisté à un seul exorcisme, la personne était dans un état second, vomissait et rotait. On est loin de la vision hollywoodienne mais cela reste très impressionnant.

– Dans le cas d’Anneliese Michel, le Pasteur ordonna l’interruption du traitement, est-ce une option envisageable dans certains cas extrêmes ?

Il ne faut en aucun cas encourager le patient à stopper son traitement, bien que de puissants médicaments puissent entraver l’exorcisme. En cas d’erreur de jugement, le sujet peut interpréter cela comme une preuve significative de possession et tomber peu à peu dans l’hystérie la plus totale. D’autre part, cela peut renforcer les symptômes et créer une psychose chez la personne si elle n’est pas réellement sujette à cela. Seul un médecin est apte à prendre une telle décision.

– Vous avez la double casquette (futur) prêtre et psychologue, votre analyse s’en trouve-t-elle affinée ?

Cela offre une certaine ouverture, plus de recul et de distance. Mais les deux fonctions sont très différentes. Un psychologue restera dans un cadre purement laïque et ne se projettera pas vers des problématiques religieuses. Je pourrais éventuellement suggérer à la personne que l’on échange dans un autre contexte, cependant il est difficile de prendre position sur des problématiques théologiques lorsqu’on agit en tant que psychologue. Le prêtre aura, sans aucun doute, une marge de manœuvre plus importante même si les échanges ne s’orienteront pas dans le même périmètre. Dans le sud de la France, exerce un psychologue qui occupe également la fonction de prêtre. Beaucoup de croyants viennent le voir car il ne se cloisonne pas au simple esprit cartésien et scientifique. Cette double casquette est rassurante pour ces gens, un athée serait sans doute bien plus fermé.

– Seriez-vous prêt à suggérer que la théologie puisse être intégrée dans l’enseignement de la psychologie ?

Il y a 0% de probabilité que ce monde découle du hasard, il est donc plus cohérent de croire à l’existence d’un Dieu. Il serait intéressant que le cursus universitaire de psychologie intègre cette problématique théologique, ne serait-ce que culturellement, et surtout pour que les étudiants élargissent leurs horizons de réflexion.

– Pour aller plus loin sur le cas d’Anneliese Michel : https://youtu.be/HXNiL_a503Y

Mathieu Portogallo

La rédaction
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